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Blue Sky #3, 70s analog lens on digital body, 2020
Le miroir des autres
Tel un miroir, la photographie est une réflexion, à la différence qu’elle a cette fonction de prolonger le regard, ce petit éclat de lumière, la couleur d’un instant.
Il arrive que le miroir soit physiquement présent, je pense à Jeff Wall et à son célèbre Picture for Women (1979) par exemple. On parle dans ce cas de meta-photographie, le processus de photographie est mis au centre, une sorte de réflexivité qui nous permet de penser l’œuvre en tant que médium. Je pense encore à Poklong Anading et à sa série Anonymity (2004-2015) dans laquelle le visage des modèles disparaît derrière la lumière du soleil reflété dans le miroir qu’ils tiennent devant eux. Ici au fond, c’est la lumière qui devient le centre d’intérêt, lumière qui est littéralement la source de la photographie.
Mais très souvent le miroir, c’est nous, les photographes. Le travail de Nan Goldin I’ll be your Mirror (1996) le montre très bien : c’est par notre regard et par le cadre que nous leur fabriquons que nous devenons le miroir des autres.
Pour photographier, il faut donc tenter de comprendre les choses, de comprendre les autres, mais cette compréhension reste inévitablement subjective. En photographiant on ne montre que notre version des choses, que notre vision des autres. C’est un outils de narration qui n’a de limite que l’imagination et c’est ça qui depuis toujours me captive et me passionne.
La dualité de la photographie
La photographie a cette particularité qui fait qu’on a envie de lui faire confiance. Et le fait que la photographie ait côtoyé la peinture juste après sa découverte y est probablement pour quelque chose. Après tout, entre un portrait peint et un daguerréotype il n’y avait pas photo ! L’un était une interprétation de l’artiste (qu’importe son niveau), l’autre était un miroir parfait du modèle. Pourtant, on l’a souvent vu au travers les médias, nous savons également qu’il ne faut pas aveuglément croire à la véracité d’une image. Comme dit plus haut, la photographie est avant tout un médium subjectif, mais c’est un médium qui est aussi facilement manipulable. Et c’est cette ambiguïté entre réel et fiction qui m’intéresse particulièrement.
La pratique de la mise en scène me permet la création d’un autre possible, d’un monde imaginaire ou alternatif pour (peut-être mieux ?) parler d’une réalité. C’est ce qu’a fait Sara Terry avec sa série (Re) Thinking the Male Gaze (exposée au Photoforum Pasquart jusqu’au 14 juin dans le cadre de l’expo Her Take). En revisitant des classiques de la peinture dans lesquels figurent des femmes nues peintes par des hommes et en les remplaçant par des hommes nus, elle permet de (ré)-ouvrir les débats actuels sur le genre et le pouvoir.
Mettre en scène ce n’est donc pas seulement montrer ou raconter notre version d’un fait, c’est aussi pousser le spectateur à s’interroger. Mettre en scène c’est aussi parfois créer le doute pour permettre une réflexion sur d’autres images, notamment celles que nous consommons quotidiennement dans les journaux et les réseaux sociaux.
L’expérimentation
Depuis sa découverte, la photographie est passée par de multiples révolutions techniques, et, moyennant quelques connaissances et un accès au matériel adéquat, chacune de ces techniques est toujours reproductible. L’expérimentation permet une exploration du potentiel et des limites du médium photographique (et je ne peux m’empêcher de penser aux travaux de James Welling dans lesquels il joue avec les sources de lumière, avec la matière et les couleurs de manière à réellement nous les faire ressentir). Elle permet de revisiter d'anciens procédés ou de tenter de les reproduire par nos moyens modernes pour, par exemple, tester leurs limites.
J’aime par-dessus tout expérimenter avec le matériel, mêler l’analogique au numérique, créer des objectifs en cartons qui se rattachent à mon boitier aussi (voir ma série Pinhole).
Pour la petite série d’images qui accompagne mon CV, j’ai utilisé un objectif datant des années 70 que j’ai trafiqué pour qu’il puisse se rattacher à mon boitier numérique.. à l’envers !